02/02/1916 – Mort de Camille

Paul Giraud tient sa promesse en adressant à Denis la photo de la tombe de Camille. Il réitère sa promesse de lui rendre visite à sa prochaine permission.
Belgique
Monsieur,
Ayant pu l’autre jour prendre une photo de la tombe de Zaleski et celle de Bador, je me fais un plaisir de vous l’envoyer comme je vous l’avais promis.
J’espère qu’elle vous fera plaisir. Elle porte le numéro 226. Vador est à sa droite.
je ne serai pas à paris pour Pâques, comme je l’avais cru mais que je viendrai, je vous enverrais un mot.
Recevez, Monsieur, mes sincères salutations.
Paul Giraud.

07/02/1916 – Mort de Camille

Le sergent Rodzynski exprime à Denis ses condoléances et ses regrets infinis d’avoir perdu un compagnon du combat des plus méritants. Il se propose de lui rendre une visite à sa prochaine permission pour lui raconter dans les détails la « belle » mort de Camille et de Bador, son ami inséparable.
Rodzynski MiecislasBelgique
Monsieur,
J’ai hésité de vous écrire jusqu’à présent, car il m’était pénible de jouer le rôle d’oiseau de mauvais augure… Maintenant, c’est fait, vous le savez, le terrible malheur arrivé le 24 janvier…
Je tiens à vous dire que Camille et son inséparable ami Bador ont été morts en braves, comme ils étaient face à l’ennemi, en défendant la ligne contre une attaque. Les deux pauvres jeunes gens, si charmants et aimables…
Nous tous restant à la compagnie — nous les regrettons très sincèrement — et nous louons leur belle assistance dans les moments si terribles.
J’aurai ma permission le 20 courant et je me permettrai de vous faire la visite et vous dire les détails sur leur belle mort.
Acceptez chez Monsieur, l’expression de la considération la plus sincère.
M. C. Rodzynski, sergent éclaireur, 4e Zouave 44e Compagnie, secteur 131.
Crédit photo et informations

04/02/1916 – Mort de Camille

Paul Giraud assure à Denis que Camille était apprécié de tous. Il donne encore des précisions sur l’emplacement de la tombe et promet de lui adresser une photographie du lieu.
Belgique
Cher Monsieur,
je viens de recevoir votre lettre que j’attendais. J’avais justement reçu hier une lettre de Mme Legrand, une amie de Mme Bador, me demandant de ses nouvelles. Mon camarade Picard avait écrit à sa mère et elle aussi est maintenant informée du malheur qui la frappe.
En effet, sa permission était bien proche et il pouvait espérer partir le 10 de ce mois. Quelle triste réalité !
Tous ces camarades l’ont pleuré, car il était aimé de tout le monde, tous ceux qui l’approchaient connaissaient son bon cœur et sa serviabilité. Non, tout ce sans de vingt ans ne sera pas versé inutilement, je suis sûr qu’il portera ses fruits. Mais quelle guerre, cette guerre où l’on se tue sans se voir, être tué par un obus qui vous arrive de cinq kilomètres sans pouvoir faire un mouvement, rester sous un bombardement pareil, avec la presque certitude que ceux qui sont encore debout seront à leur tour écrasés par cette pluie de mitraille.
Pour la tombe de Camille, je l’arrogerai et en prendrai soin. Maintenant sur sa tombe, il y a une croix en bois avec l’inscription suivante « zaleski Camille 4e Zouave, tué le 24 janvier 1916 devant l’ennemi PPP (priez pour lui).
La tombe porte le numéro 105 ou 106. Je vous dirai avec sûreté aussitôt que je le saurai.
Il a un entourage fait avec des carreaux de mosaïque pris dans Nieuport-Bains. Pour l’entourage et la croix, on ne peut faire mieux ici. Si vous voulez, je pourrai vous faire mettre une couronne. Si vous voulez l’emplacement exact du cimetière où il est enterré, prenez une carte touriste de Belgique et le cimetière se trouve à côté de l’église de Nieuport-Bains.
Pour la croix et l’entourage, il n’y a aucune dépense.
Recevez, cher monsieur, l’expression de ma meilleure amitié.
Paul Giraud.
PS. Rodzinski est toujours à la Compagnie, il s’en est réchappé, mais pour Albert, je ne sais pas qui vous voulez dire.
Je fais part de votre lettre à Rodzinski.
Amitiés. Giraud.
J’ai un appareil photographique et je m’arrangerai pour photographier sa tombe que je vous enverrai aussitôt.

02/02/1916 – Mort de Camille

Paul Giraud répond à Denis qui demande encore plus de détails. Il se plie avec bonne volonté et promet même de lui rendre visite lors de sa prochaine permission en avril. Dans cette lettre, il indique l’emplacement de la tombe et assure qu’il ira la fleurir, à moins d’y être enterré.
Belgique
Monsieur,
J’accuse réception de votre lettre du 2 février. Je ne puis pas vous donner beaucoup plus de renseignements que je ne l’ai fait. Tout s’est tellement vite passé qu’il n’y a rien à raconter.
Voici. Le bombardement du 24 janvier commença à 11 heures du matin avec une très grande violence. Au bout d’une heure, 2 obus de 150 sont venus s’abattre sur la cagnac où se trouvaient Zaleski, Bador et leur caporal. Ils ont été tués tous trois sur le coup, sans qu’ils aient eu le temps de pousser un cri. Je suis sorti cinq minutes après pendant dix minutes que le bombardement avait cessé, aucun des trois ne respirait plus. Zaleski avait une plaie à la tempe gauche et les deux jambes cassées ; Bador était blessé au cou et au ventre. Je les ai dégagés de l’abri dans la nuit du 24 au 25. Il était impossible de le faire avant tant le bombardement faisait rage. Le bombardement se déroulait entra la mer et le mamelon vert. Jamais il n’y avait eu de bombardement de ce calibre-là dans le secteur. Ma compagnie se trouvait en face de  Lombaertzyde à l’endroit appelé Éclusette. Et Zaleski a trouvé la mort aux abris qui sont entre la 1ère ligne et l’Éclusette.
La tombe est à l’entrée de Nieuport-Bains du côté de l’église, elle porte le numéro 226 et non 1050, comme je l’avais dit sur ma précédente lettre. Il est enterré à côté de Bador.
Je soignerai toujours la tombe tant que je serai là, à moins que je n’aille les rejoindre.
Le caporal Rodzinski est toujours là ; il vient d’être nommé sergent. Je lui ai donné votre adresse ainsi que votre oncle me l’avait demandé.
Je pense venir pour mon 2e tour en permission au mois d’avril. Je vais chez mes parents à Paris, et vous ferai prévenir quand je pourrai passer vous voir.
Croyez, monsieur, à ma sincère amitié.
Paul Giraud.

29/01/1916 – Lettre de Denis à Camille

Denis est très inquiet. Il n’a aucune nouvelle de Camille depuis le bombardement. Il donne des nouvelles de Jeanne qui se rétablit et de Charles qui travaille au ministère de la Marine.
Portrait de Denis Mon cher Camille,
Nous attendons avec impatience une petite carte de toi. Comment vas-tu ? Écris-nous sans retard dès que tu auras reçu cette carte. Je t’envoie un mandat-carte de 10 francs. As-tu reçu celui de janvier ? Jeanne est rétablie, elle va bientôt reprendre ses cours, elle demande de tes nouvelles, écris-lui une petite carte ainsi qu’à Marius qui m’en a demandé également. Tu dois avoir son adresse. Ton frère Charles a été de service cette nuit au Ministère, il se repose aujourd’hui, mais il est très occupé. Bohdane va bien, sa toux est passée sans qu’elle ait eu besoin de voir un médecin. Elle se joint à moi et à Charles pour t’embrasser affectueusement et pour te prier de nous écrire sans retard et plus souvent. Ton oncle Denis.

28/01/1916 – Annonce de la mort de Camille

Camille a été tué le 24 janvier. C’est le caporal de sa compagnie qui se charge de l’annoncer à Denis. Il prend la peine de raconter les circonstances de sa mort. Avec beaucoup de délicatesse, il l’informe de ce qu’il est advenu du corps et fait le recensement de ce Camille avait sur lui. Des lettres, ses pipes, de la menue monnaie et ses dernières volontés : un enterrement catholique.
Belgique
Monsieur,
Excusez-moi si je prends la liberté de vous écrire, c’est pour vous annoncer une bien triste nouvelle. Votre neveu Camille Zaleski a été tué dans la journée du 24 au cours d’un violent bombardement effectué par les Allemands. Je vais vous narrer si possible les tristes péripéties de cette terrible journée.
Nous étions montés aux tranchées le 19 au soir pour en descendre le 24 au soir. Les trois premiers jours s’étaient assez bien écoulés, mais le 24, à onze heures, les Allemands commençaient un bombardement d’une violence inouïe, encore sans pareille dans ce secteur. Pendant six heures, ce fut un torrent de fer et de feu ; les obus tombaient par centaines. Vers midi, un obus de 150 est venu tomber sur la « cagnac » où se trouvaient Zaleski et deux autres, son caporal et son ami intime Bador. Tous trois furent tués sur le coup. Aussitôt que j’ai pu faire dégager son corps ainsi que celui de ses camarades, je les ai fait descendre à Nieuport-Bains, où ils seront enterrés demain 29 à six heures et demie du matin.
Je vais assister à cette pauvre remise du corps à la terre ; auparavant, je lui ai fait dire une messe par un prêtre de mes amis.
Aussitôt que la tombe sera numérotée, je vous enverrai le numéro. Il sera enterré au cimetière des Zouaves à Nieuport-Bains.
En fouillant ses poches le 24, j’ai trouvé sur lui un portefeuille contenant des lettres, son livret militaire, un porte-monnaie contenant quelques francs et deux pipes. J’ai remis le tout au chauffeur (?) qui vous fera parvenir ces chères reliques. Dans son portefeuille, se trouvait une lettre où il demandait un enterrement catholique, c’est pour obéir à sa dernière vont que je l’ai fait.
Pardonnez-moi, Monsieur, si je vous annonce cette nouvelle aussi brutalement, mais je ne puis pas le faire autrement et je crois qu’il vaut mieux une certitude aussi cruelle soit-elle au doute affreux qui doit vous étreindre.
Recevez monsieur, les plus sincères condoléances d’un ami qui prend part à votre douleur.
Paul Giraud, Caporal Fourrier 4e Zouaves — 44 Compagnie — Section 131.
La tombe ne sera pas abandonnée ; à chaque fois que nous monterons aux tranches, j’irai prier aux pieds de celui qui vous était cher.

25/01/1916 – Lettre de Denis à Camille

Un bombardement important a eu lieu à Nieuport. Denis est très inquiet et prie Camille de le rassurer au plus vite sur sa santé. Il souhaite excuser Charles qui travaille désormais au ministère. Il n’a guère de temps pour lui. Il travaille tous les jours. Il donne des nouvelles de Jeanne et de Jean.
Portrait de Denis Mon cher Camille,
J’ai reçu hier ta lettre, mais aujourd’hui nous savons qu’il y a eu un violent bombardement de la région de Nieuport. Aussi, nous sommes inquiets à ton sujet et nous te prions de nous écrire un petit mot dès que tu auras reçu ma carte.
le petit Charles est tellement occupé au ministère qu’il ne peut pas t’écrire. Il faut qu’il y soit à 8 heures du matin jusqu’à 7 heures du soir. Il travaille tous les dimanches et doit passer une nuit au ministère tous les sept jours. Dès qu’il aura un instant il t’écrira, mais excuse-le s’il n’a pas le faire jusqu’à présent.
Jeanne va beaucoup mieux, elle va se reposer jusqu’à la fin du mois et reprendra ses cours le 1er février. Jean va retourner au dépôt de Vincennes le 1er février, mais je ne sais pas s’il sera accepté et si on l’enverra au front. Il est encore trop faible et trop maigre, il pèse 55 kg. Bohdane et Charles se joignent à moi pour t’embrasser tendrement, ton oncle.
Mon cher Camille, écris-nous bien vite, nous sommes inquiets pour toi en raison du bombardement signalé ce matin. Je t’embrasse bien affectueusement, Bohdane.

Bon courage, mon cher Camille, notre pensée te suivra. Ecris-nous souvent. Je t’embrasse tendrement, Bohdane.

21/01/1916 – Lettre de Camille à Denis

Camille adresse une courte lettre pour remercier son oncle de ses colis. Il se réjouit de la meilleure santé de sa sœur, et de la présence de Charles près de son oncle.
Portrait de Camille Le front (Belgique)
Chers parents,
Je suis en bonne santé. Je vous remercie pour le colis de tabac que vous m’avez envoyé. J’ai reçu également le colis d’Émilia. Je suis heureux de savoir Charles auprès de vous et pour si longtemps. Cela le changera de la tranchée où il est resté tant de temps. Je suis heureux de savoir Jeanne en bonne santé. Je n’ai rien reçu de Marius encore. Bons baisers. Camille.

16/01/1916 – Lettre de Jeanne à Camille

Jeanne se relève peu à peu de sa maladie. Elle ne reprendra pas sa classe avant un mois. L’air de la mer ne lui fait guère de bien, elle rechercherait plutôt l’air de Paris. Elle forme pour cette nouvelle année deux vœux bien précis : que la guerre finisse et que son frère en revienne.
Jeanne Matha,
Mon cher petit Camille,
Sois rassuré, je vais bien mieux, depuis deux jours le temps étant favorable, je puis sortir un peu. La semaine prochaine, j’irai, je pense, à Paris pour changer d’air selon l’au du docteur qui ne veut pas que je reprenne ma classe avant le mois prochain. J’aurais été à La Rochelle, mais l’air de la mer ne me vaut rien et le voyage à Paris est trop fatigant. Ce sera pour Pâques. Oui, j’ai eu la joie de voir Charlot, qui n’a pas craint sa fatigue pour me faire ce grand plaisir. J’ai de bons petits frères… Mercredi dernier, Émilia est venue me voir avec Dédé, nous avons passé ensemble quelques bonnes heures trop courtes. Je suis heureuse de te savoir en bonne santé, mon petit frère chéri, je n’ai pu t’écrire pour le jour de l’An, mais j’ai formé pour toi de bons vœux malgré ma maladie. Que la guerre finisse et que tu nous reviennes bientôt, c’est mon plus grand désir. Dieu sait encore ce qui va se décider pour Charlot, cela me tourmente. Charles m’a raconté comment dès ton arrivée en Belgique, tu as dû subir un bombardement, pauvre petit frère, que c’est dur cela !
Écris bien vite. Reçois les meilleures tendresses et les baisers de ta petite Jeannette.
Courage toujours ! C’est pour la France et la Pologne que tu souffres…

09/01/1916 – Lettre de Camille à Denis

Première lettre de Camille de l’année. Jeanne est alitée en raison d’un malaise, il se demande si elle suit toujours un régime. Il remercie son oncle de lui avoir envoyé des douceurs pour les fêtes de fin d’année, des douceurs qui manquent cruellement dans les tranchées. 
Portrait de CamilleLe front (Belgique)
Chers parents,
Je suis heureux que ma lettre vous ait apporté quelque distraction et quelque consolation. Soyez certain qu’au jour de Noël et qu’au jour de l’An, ma pensée est allée souvent vers vous…
Je vous remercie pour le colis que vous m’avez envoyé. Ces petites douceurs au front, où l’on en est privé, font bien plaisir.
J’ai écrit à Jeanne il y a déjà assez longtemps, je n’ai pas encore reçu de réponse. Heureusement, vous me dites qu’elle va mieux, qu’elle se lève et que Charles a passé quelques instants avec elle. Il faut espérer que ce gros malaise ne sera rien et qu’elle guérira promptement. Suit-elle toujours un régime ?
J’espère que vous êtes en bonne santé. La mienne se maintient toujours de même. La température doit être assez douce à Paris, cet hiver. Ici, le vent souffle toujours avec rage.
Bador, Rodzinski, Albert sont toujours avec moi.
Bons baisers, mes chers parents + bien à vous. Camille.